Après plusieurs articles publiés dans le Droit en Liberté, dont le dernier en date remonte à octobre 2011, Michel MINÉ revient ici plus longuement, avec force arguments, sur le droit aux congés payés même en cas d’arrêt maladie, notamment à partir d’un nouvel arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 novembre 2011.
À la lecture de cet article, on mesure combien la bataille juridique en France est loin d’être terminée en ce qui concerne l’application de la jurisprudence européenne. Et l’État français, une fois de plus, semble être le plus réticent pour se plier au droit européen, lorsque celui-ci est plus favorable aux salariés.
La nouvelle ère présidentielle qui s’ouvre changera-t-elle la donne ?
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit (art. 31 § 2) : « Conditions de travail justes et équitables
(…) Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ».
La directive européenne n° 2003/88 prévoit (art. 7) : 1. Les états membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines (…).
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ». Aucune dérogation défavorable au salarié n’est ici prévue.
La jurisprudence européenne a posé plusieurs règles qui s’imposent aux États :
Le principe :
Par un arrêt CJCE 20 janvier 2009, grande chambre (affaires jointes C-350/06 et C‑520/06), le juge de Luxembourg a affirmé le droit à congés payés du salarié malade :
« § 39 - En ce qui concerne les dispositions relatives aux périodes minimales de repos figurant à la section II de la directive 2003/88, elles visent le plus souvent « tout travailleur », ainsi que le fait en particulier l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci pour le droit au congé annuel payé (…).
§ 40 - En outre, s’agissant de ce dernier droit, la directive 2003/88 n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, de courte ou de longue durée, pendant la période de référence et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période.
§ 41 - Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par la directive 2003/88 elle-même à tous les travailleurs (…) ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État.
§ 54 - À cet égard, il importe de rappeler d’abord que, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, disposition à laquelle cette directive ne permet pas de déroger, tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Ce droit au congé annuel payé, qui, (…), doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, est donc accordé à chaque travailleur, quel que soit son état de santé.
§ 55 - Ensuite, (…), le droit au congé annuel payé ne s’éteint pas à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et n’a pas effectivement eu la possibilité d’exercer ce droit que la directive 2003/88 lui confère.
§ 56 - Lorsque la relation de travail prend fin, la prise effective du congé annuel payé n’est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière. »
Des règles d’application :
Plusieurs arrêts de la CJUE/CJCE mettent en oeuvre ce principe dans des situations particulières.
Dans un arrêt CJCE 10 septembre 2009 (affaire C‑277/08), il est décidé que le salarié malade durant son congé payés peut « récupérer » ses jours de congés après son retour dans l’entreprise :
« § 22 - Il découle de ce qui précède, et notamment de ladite finalité du droit au congé annuel payé, qu’un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande et afin qu’il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie. »
Plusieurs récentes décisions sont venues préciser ce dispositif de maintien du droit à congé pour le salarié malade :
Dans un arrêt CJUE 22 novembre 2011 (affaire C‑214/10), KHS AG c/ Winfried Schulte, la possibilité d’une limitation du droit à cumul des congés payés en cas d’arrêt maladie de longue durée est posée :
« § 37 - Le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l’Union, non seulement une importance particulière (…), mais il est aussi expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (…).
§ 38 - Il s’ensuit que, afin de respecter ce droit dont l’objectif est la protection du travailleur, toute période de report doit tenir compte des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve le travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives. Ainsi, ladite période doit notamment garantir au travailleur de pouvoir disposer, au besoin, de périodes de repos susceptibles d’être échelonnées, planifiables et disponibles à plus long terme. Toute période de report doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée.
§ 39 - Cette même période doit aussi protéger l’employeur d’un risque de cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et des difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail. »
En ce qui concerne la durée retenue pour la limitation de la capitalisation des congés, dans cette affaire une période de 15 mois de report prévue par la convention collective a été jugée non contraire au droit européen. Cependant, pour les affaires à venir, une période plus longue pourrait être retenue : des sources juridiques proposent « un délai de 18 mois au plus à compter de la fin de l’année ouvrant droit au congé » (Convention de l’OIT n° 132 révisée de 1970, art. 9 ; voir dans ce sens les conclusions de l’avocate générale Mme V. Trstenjak dans cette affaire, présentées le 7 juillet 2011 :
« § 81 - Un délai tel que celui qui est prévu à l’article 9, paragraphe 1, de la convention n° 132 respecterait en tout état de cause l’objectif de protection de l’article 7 de la directive car le travailleur disposerait ainsi d’un délai allant jusqu’à deux ans et demi pour prendre son congé annuel minimal au titre d’une année donnée. D’un point de vue objectif, ce délai semble suffisamment long pour rendre possible l’exercice effectif du droit. En outre, le travailleur serait toujours assuré de disposer, après une maladie de longue durée, d’un temps assez long pour récupérer. En cas de retour au travail, il bénéficierait encore au minimum d’un droit à congé de huit semaines, et s’il revient pendant la première moitié de l’année de la troisième année, il bénéficierait même d’un droit à congé de douze semaines. Un solde de congés serait donc en toute hypothèse garanti. Au vu des avantages que l’adoption de cette règle offre pour le travailleur, il faut admettre que la conditionposée par la Cour, que doit respecter le législateur national pour pouvoir prévoir légalement l’extinction du droit à congé, serait effectivement remplie. »).
En dernier lieu, à ce jour, dans un arrêt CJUE, grande chambre, 24 janvier 2012 (affaire C‑282/10), Maribel Dominguez c/ Centre informatique du Centre Ouest Atlantique (CICOA) et préfet de la région Centre, plusieurs éléments sont donnés sur la mise en oeuvre effective de ce droit à congés payés pour le salarié malade par le juge interne.
Le juge interne doit :
vérifier, en prenant en considération l’ensemble du droit interne, notamment l’article L.3141-5 (ancien L.223-4 du code du travail), et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de l’article 7 de la directive 2003/88 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant d’assimiler l’absence du travailleur pour cause de maladie à l’un des cas de figure mentionnés dans cet article du code du travail (périodes assimilées à une période de travail pour la détermination de la durée du congé) ;
si une telle interprétation n’est pas possible, il doit vérifier si, eu égard à la nature juridique de la partie employeur, l’effet direct de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 peut être invoqué à leur encontre ; en effet, la disposition de la directive, telle qu’inteprétée par le juge européen, s’impose directement dans toutes les entreprises relevant de l’État, directement ou indirectement (les fonctions publiques, les caisses de Sécurité sociale, les entreprises publiques, etc.) ;
à défaut pour le juge civil d’atteindre le résultat prescrit par l’article 7 de la directive 2003/88, le salarié lésé par la non-conformité du droit national au droit de l’Union peut se prévaloir de la jurisprudence européenne (CJCE 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90), pour engager la responsabilité de l’État et obtenir réparation du dommage subi.
La législation française se met partiellement en conformité :
La loi dite de simplification du droit du 22 mars 2012 prévoit (art. 50) : « I. - Le premier alinéa de l’article L.3141-3 du même code est ainsi modifié :
1° Les mots : « qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de dix jours de travail effectif » sont supprimés ;
2° Sont ajoutés les mots : « effectif chez le même employeur ».
II. - Le présent article s’applique pour chaque salarié présent à l’effectif de l’entreprise à compter du premier jour du troisième mois suivant la publication de la présente loi au Journal officiel. »
Ainsi, la loi a supprimé la condition de prestation de travail préalable (10 jours) pour bénéficier de l’ouverture du droit à congés : l’ouverture du droit à congés payés devient automatique (droit à 2,5 jours ouvrables par mois sans avoir à justifier avoir travaillé chez l’employeur un temps minimum). Mais le fait de différer le bénéfice de cette disposition à une date ultérieure (au 1er juillet 2012) n’est pas conforme au droit européen.
De plus, la loi ne modifie pas les dispositions du Code du travail pour assimiler la période d’arrêt maladie à une période de travail pour le calcul du droit à congés payés.
La jurisprudence interne commence à mettre en oeuvre la jurisprudence européenne (depuis l’arrêt Cassation sociale 24 février 2009, CPAM Creil, sur le report des congés payés acquis avant un arrêt maladie de longue durée).